Ceux
qui n'ont pas connu Danielle Gilbert ou Guy Lux ont loupé les
passages de Manset à la télévision.
Pourtant au départ, il n'y était pas opposé, loin
de là - il y est passé une quinzaine de fois entre 1969
et 1983 avec, notamment, 3 émissions qui lui ont été
spécialement consacrées : « Portrait d'un
jeune artiste » le 28 février 1971 sur Antenne 2.
Un numéro de « Discorama » le 18 mai 1973
ou pendant une demi-heure il est interviewé principalement sur
l'album « La mort d'Orion » y interprétant
3 titres : «Le paradis terrestre », «Elégie
funèbre » et « Celui qui marche devant »
issu de « l'album blanc » (« Long long
chemin ») paru en 1972. Puis, le 3 mars 1983, où un
« Les enfants du rock » lui sera - pendant une
heure - intégralement consacré, mêlant interviews,
clips, et reportages « work in progress »...
Mais voilà, le 8 juin 1975 - déjà il sent qu'il
touche le fond, avec le « Ring parade » de Guy
Lux. Il y interprète son célèbre et unique tube
« Il voyage en solitaire » au côté
de Sheila qui chante " C'est le coeur " et " Aimer
avant de mourir ", Demis Roussos " From souvenirs to souvenirs
", Christian Delagrange " Tu m'appartiens et je t'aime "
et Carlos " Les croisades ". Vraiment pas de quoi se sentir
dépaysé donc... d'autant que pour égayer le spectacle,
la direction musicale du show est confiée à un grand orchestre
dirigé par Jean Claudric, futur chef des tournées mondiales
de Mireille Mathieu.
Là, il constate que la télé, définitivement,
ce n'est pas pour lui, comme il le racontera dans son "interview-testament"
à "Paroles & Musique" en avril 1986.
" Il y a quand même eu quelques horreurs . Un passage
chez Guy Lux par exemple, en 75 , avec « Il voyage en solitaire »
qui a vraiment été un cas de conscience pour moi . Je
l'ai fait contraint, par solidarité envers le directeur de la
promotion de Pathé qui s'était verbalement engagé
à ma place, qui était allé au-delà de ce
qu'il aurait dû . . . Alors, je suis allé me farcir ce
Guy Lux, sans espoir de retombées commerciales d'ailleurs, sachant
bien que son public de toute façon n'était pas a l’affût
de ce que je pouvais faire . . . Mais le cas ne s'est jamais reposé
par la suite, c'est pour ça aussi que je suis toujours resté
chez Pathé : on y connaît trop bien mes travers pour me
mettre dans des situations où j’aurais eu tout à
casser. Une autre fois, en 81, Francis Cabrel que je ne connais pas
personnellement, mais qui est un mec très bien, que j'apprécie,
me téléphone pour que je participe à son "Numéro
1 " réalisé par les Carpentier. La télé,
je ne voulais plus en entendre parler ni de près ni de loin,
mais, bon, Cabrel y tenait, on déjeune ensemble, alors pourquoi
pas, si c'est dans les meilleures conditions ? C'était avec "Le
train du soir". Je passe sur les conditions de travail qui justement,
ont été épouvantables, et puis on a encore dû
m'appeler Jean-Charles Manset ou Patrick Manset, je ne sais plus, mais
au bout du compte, ils avaient une bande impassable, avec un trou de
25 ou 30 secondes sur le playback pendant lesquelles le mec à
la caméra me cherchait partout dans le studio sans me trouver
(rire). Déplorable. Alors, bon, j'ai reçu une lettre d’excuses
des Carpentier, mais c’était trop tard, ça ne résolvait
rien et ça n'a fait qu'enfoncer définitivement le clou
par rapport à la défiance que j’avais pour la télé.
Je ne suis ressorti de mon trou que pour « Les enfants du
rock » après avoir obtenu un tournage cinéma
avec un mec que je connaissais."
"Quel intérêt d’aller participer à
un plateau de télé où il va y avoir un prof d’université,
la boulangère ou le plombier du coin et un mec comme moi ? Ça
me gêne, ce mélange, cette dilution. Le juste milieu, ce
serait déjà qu'il y ait moins de chaînes. J'en ai
fait quand il y a eu la 1, puis la 2, et après j'ai arrêté.
Mais on pourrait aussi imaginer qu'il puisse y avoir un plateau avec
quatre ou cinq intervenants sur un même thème, qui auraient
le même niveau : c'est ça qui me gêne beaucoup, c'est
ce mélange de pointu et de vulgaire. Moi qui n'ai pas mon bac,
je ne vais pas aller discourir sur un sujet que je maîtrise à
peine avec un érudit de haut vol ! Après, pour l'anecdote,
je ne suis pas contre le fait qu'un Balavoine apostrophe un Mitterrand
en direct : pourquoi pas, ça peut mettre en valeur un fait de
société, un événement. Le problème,
c'est que ce genre d'éclat est trop systématiquement provoqué,
que par démagogie n'importe quel membre du gouvernement se fera
un devoir d'y répondre, de s'abaisser à la hauteur du
premier venu qui le conteste. C'est ridicule, et ça ne peut en
aucun cas être respectable. Si les politiques y réfléchissaient
davantage, ils comprendraient la source de leurs problèmes :
ils ne peuvent pas à la fois jouer aux clowns, se mettre à
quatre pattes et faire des grimaces quotidiennes, et être respectés.
Les ministres ne sont pas là pour aller discourir toutes les
cinq minutes avec le premier venu : c'est élémentaire.
Comment veux-tu que ces gens-là travaillent puisqu'ils sont 24
heures sur 24 à répondre aux questions de Pierre, Paul,
Jacques ?"
C'est donc pour toutes ces raisons que vous avez coupé
le contact avec l'univers télévisuel ?
"Je ne participe pas à ça avant tout parce que ça
ne sert pas à grand chose. J'aime les trucs qui servent à
quelque chose, et c'est pour ça que j'ai en général
continué à rencontrer des journalistes pour des articles
sur papier, dans un cadre clean et une relation privilégiée
comme aujourd'hui. J'ai envie de dire qu'avec la presse écrite,
on peut encore se préserver une qualité de silence. Et
ça, le silence, c'est essentiel. Alors que la télé,
ça sera toujours le problème du poster par rapport à
une photo de Brassai. Sur le poster, tu as tout : le moindre grain de
sable, le ciel immaculément bleu, le palmier avec toutes ses
feuilles. Seulement, t’as plus envie de partir en voyant ça
: t’as envie de vomir sur la plage ! Tellement on t’a contraint,
on t’a réduit les possibilités de rêver. Tout,
au fond, est un problème de définition. Je suppose qu'à
ses tout débuts, la télévision, quand elle n'émettait
qu'une heure par jour et que l'image était mal reçue,
a pu stimuler l'imaginaire, dans un registre proche de ce que proposait
la TSF. Parce que plus l'image est mauvaise, floue, en noir et blanc,
plus tu cherches à la rattraper : tu es obligé de construire
et de remplacer les manques. Mais quand tout est tellement nickel, qu'il
n'y a plus rien qui bouge, qui te permet de sortir du cadre ou de le
réinventer. Bref. A l’époque pattes d’eph,
j’ai sauté du train en marche quand on a commencé
à voir de quoi était faite cette drôle d’image"
Richard
Robert - l'oreille absolue - octobre 1996